Thursday, December 07, 2006

Le Goff: France, Origins and Present

Le Figaro interviews Jacques Le Goff. Mostly he talks about his book, La libération d'Orléans (The Liberation of Orleans), and La fin de la France anglaise (The End of English France) by Régine Pernoud, with which he describes the Siege of Orleans as a site of memory comparable to Verdun. He also discusses legacy of the Annales and the state of history in contemporary politics. It's well worth reading.

The larger question of his work is interesting: what are the origins of French nationalism. Current trends seem to push the birth of "national identities" further into the past. However, they leave many questions unanswered: how was the image of nation and nationality shaped? was it shared? was it singular? to what extent did it circulate? who was exluded? were other identities excluded? Any of these identities are, in my opinion, only prototypes. Some form of mass communication and literacy would have been necessary for them to have currency.

Focusing on Orleans, Le Goff puts an intereting twist on these excavations of nationalism
The lesson of the siege was that G-d helped the French liberate Orleans. It had thus demonstrated that Christians, in the past divided into monarchies, were now more and more considered as nations. And the nations ought to respect one another. It was not a question of making the English disappear. It was a question of preventing the English from taking from the French what G-d gave them. Thus, Orleans corresponds effectively to an important moment in the constitution of nations.
Awareness of cultural differences may be implied, but what is interesting is the shift from identification with elites to the sense of a common heritage, one not necessarily predicated on culture. Perhaps he is even suggesting awareness of nation as a common work of the people, its defense necessary for its maintenance.

The other interesting point concerns the absense of historical consciousness in French and European politics. The recent memory wars have, of course, been divisive. With respect to Europe, the critique is particularly salient. It seems that the people who consider the EU's relations to the past several centuries are in academia, not forming its policy.
... what appears to me to be a regression of history is that its place is becoming more and more marginal in the education and culture of men and women in politics. How can you govern France without accounting for its past? ... I also deplore that the historical dimension is little present in the construction of Europe. History is necessary to give a soul and a foundation to politics.

For the full text of the interview, untranslated, click here.

À l'occasion de la réédition de «La libération d'Orléans», de Régine Pernoud, le grand médiéviste s'interroge sur la naissance du sentiment national et sur ce que la connaissance historique peut apporter à la politique.

LE FIGARO LITTÉRAIRE. - Dans votre postface au livre de Régine Pernoud, intitulé « La fin de la France anglaise », vous affirmez que la libération d'Orléans, en 1429, serait un des premiers « hauts lieux de notre mémoire nationale ». Vous allez jusqu'à le comparer à Verdun. Pourquoi ?

Jacques LE GOFF. - Aux yeux des historiens militaires, le siège d'Orléans apparaît comme une péripétie de la guerre de Cent Ans, si on le compare aux grandes batailles rangées, toutes d'ailleurs perdues par les Français (Crécy, Poitiers, Azincourt). Mais il a joué un rôle essentiel dans l'histoire des mentalités. Régine Pernoud l'avait perçu dans son livre. J'ai voulu insister sur sa signification. Ce siège marque la première victoire française, et une victoire à laquelle les contemporains ont donné une grande importance. Il existe une représentation théâtrale, un « mystère » comme on disait au Moyen Âge, contemporain de l'événement, puisqu'il a été composé et joué entre la mort de Jeanne d'Arc, en 1431, et le procès de Gilles de Rais, en 1440, qui le montre très bien. Il faut se rappeler qu'en 1429 la France est coupée en deux : tout le nord de la France est devenu anglais, ou mieux, anglo-bourguignon, bien qu'il n'y ait pas eu annexion, car le roi Henri VI continue à se proclamer roi d'Angleterre et de France. Au sud de la Loire, à l'exception de l'ouest, l'essentiel des habitants reconnaissent comme roi le fils du défunt Charles VI, celui que les Anglais appellent le dauphin Charles (le futur Charles VII). Les Anglais et les Français ont le même objectif : conquérir ou reconquérir la France entière. Étant donné sa situation sur la Loire, Orléans est la clé de la possession du royaume tout entier. À la fin de l'année 1428, les Anglais croient qu'en prenant la ville ils gagneront la « guerre de Cent Ans ». Les Français prennent la chose à leur compte. Ils se persuadent que, s'ils conservent Orléans, ils gagneront la guerre, et que ce ne sera plus ensuite qu'une question de temps pour reconquérir le reste de la France. Ce siège est donc bien l'événement clé du conflit séculaire entre les deux pays.


Après les terribles défaites françaises, on se demande comment la monarchie pouvait encore tenir debout en 1429 ?

Le monde du Moyen Âge a beaucoup plus de ressources qu'on ne l'imaginait à l'époque où on le considérait comme une période noire. N'oublions pas que les Européens, notamment les Français, ont connu d'autres épreuves, notamment les croisades. Ils ont su les surpasser. Certes, après la défaite de Poitiers, la monarchie est fragilisée, car le roi est emprisonné en Angleterre, où il mourra. Comme, dans les siècles précédents, c'est la monarchie qui a fait la France, cette défaite aurait pu être fatale au pays. Or, grâce à Charles V, le prestige de la monarchie s'est maintenu et, lorsque son fils, Charles VI, s'avère fou, on ne songe pas à le renverser, contrairement à ce qui se serait passé en Angleterre. En réalité, les grandes défaites de la guerre de Cent Ans ont surtout affaibli la noblesse. À Azincourt, des lignages entiers ont été décimés. La rumeur publique, qui fait au XIVe siècle son intrusion dans l'histoire, rend les nobles responsables de ces désastres.



À quoi tient la force de la monarchie française de cette époque ?

La monarchie compte, parmi ses forces, la continuité dynastique, les conseils et assemblées, et les légistes. En outre, le roi de France est sacré à Reims. On n'a pas assez insisté sur l'importance de cette transformation du baptême de Clovis en sacre.



Quel fut le rôle de Jeanne d'Arc dans la victoire d'Orléans ?

Régine Pernoud est partie de l'idée que la libération d'Orléans révèle Jeanne d'Arc. Celle-ci joue un rôle encore plus important, en raison de la mentalité de l'époque, selon laquelle la victoire de l'un ou l'autre camp à Orléans sera un jugement de Dieu. Il s'agit pour les Français d'annuler le jugement de Dieu d'Azincourt par une victoire qui signifierait le pardon de Dieu. Celui-ci se manifeste à Orléans de deux façons. Dès le début du siège, le chef des Anglais est tué par hasard d'un coup de canon. N'est-ce pas la preuve d'une intervention divine ? D'autre part, Jeanne d'Arc joue dans la libération d'Orléans ce rôle d'intervention divine. Cette jeune paysanne est allée trouver voilà quelques mois le dauphin à Chinon. L'importance historique de cette rencontre est capitale. Que s'est-il dit ? Nous ne le savons pas. Mais la conjecture la plus vraisemblable, c'est que Jeanne a convaincu Charles qu'il était fils légitime de Charles VI et qu'elle était envoyée par Dieu.



Est-ce une singularité française de regarder certaines femmes comme des « sauveurs » ? Y a-t-il eu des personnages semblables à Jeanne du côté anglais ?

Les Anglais ont certainement vu un signe de Dieu dans leurs victoires militaires. À propos d'Azincourt, Shakespeare fait dire à Henry V qu'il y voit l'action de Dieu. Mais, soit parce que cela ne s'est pas présenté, soit parce qu'ils n'ont pas eu assez d'imagination, les Anglais n'ont pas trouvé de personnage aussi spectaculaire et aussi frappant que la « pucelle d'Orléans ». Ils n'ont pas eu d'envoyé de Dieu. Jeanne appartient à l'imaginaire français.



C'est intéressant. Peut-on aller jusqu'à dire que le légendaire pragmatisme des Anglais s'est, sur ce point, retourné contre eux ?

On peut peut-être avancer prudemment cette hypothèse.



Cette libération d'Orléans aura été en tout cas un moment décisif dans la constitution de la nation française.

C'est une évidence. La leçon du siège, c'est que Dieu a fait libérer Orléans par les Français. Il a ainsi montré que les chrétiens, jadis répartis en monarchies, sont maintenant de plus en plus considérés comme des nations. Et les nations doivent se respecter l'une l'autre. Il ne s'agit pas de faire disparaître les Anglais. Il s'agit d'empêcher les Anglais de prendre aux Français ce que Dieu leur a donné. Ainsi, Orléans correspond en effet à un moment important dans la constitution des nations. La reprise ultérieure de Paris est importante, mais elle l'est moins symboliquement car elle intervient à un moment où la victoire française est désormais prévisible. Alors qu'à Orléans, on ne sait pas encore ce qui peut se passer.



À propos du mystère d'Orléans, vous écrivez que « de nos jours, il est rare qu'un événement donne lieu dans la foulée à une oeuvre littéraire : nous avons besoin d'un certain répit ». Ne sommes-nous pas au contraire envahis d'histoire immédiate plus ou moins littéraire ?

Mais il y a peu, me semble-t-il, d'oeuvre immédiate qui apporte de véritables lumières. Il y a un certain nombre d'années, Jean Lacouture a créé l'expression : « l'histoire immédiate ». Mais, par les médias, nous vivons cette immédiateté ; nous avons donc besoin, pour écrire une histoire plus profonde, de prendre de la distance. La surinformation nécessite de laisser s'écouler du temps. Prenez le fameux roman Les Bienveillantes de Littell. Ne représente-t-il pas, par rapport aux camps nazis, un ouvrage de la nature du mystère d'Orléans ? Mais la chronologie se renverse. Au XVe siècle, ce qui confère une valeur particulière au mystère, c'est qu'il a été conçu et représenté très peu après l'événement. Au contraire, l'attrait d'un Littell tient à ce qu'il écrit loin de l'événement. Car il faut de la décantation.



Ne tient-il pas aussi à un intérêt obscur pour le Mal, pour les passions les plus sombres ?

Le retour des passions est un grand trait de l'histoire. On est allé par exemple rechercher les croisades pour expliquer les événements du Moyen-Orient. Bush s'est présenté comme un des croisés de l'Occident, et les Arabes ont regardé les croisés comme les premiers signes de la méchanceté anti-islamique de l'Occident. Je l'avais pressenti. On m'a beaucoup reproché d'avoir été un des premiers médiévistes à avoir dit du mal des croisades. Mais c'est maintenant qu'on en mesure l'impact négatif.



Cela nous ramène à la « longue durée » chère à Fernand Braudel. André Burguière vient de publier une Histoire intellectuelle des Annales. Où en est selon vous cette « nouvelle histoire » ? N'est-elle pas en panne ?

Je suis assez mal placé pour vous répondre puisque les réunions du comité des Annales ont souvent lieu chez moi. Mais je ne vois pas de déclin des Annales. N'a-t-on pas exagéré, voire inventé, la crise de l'histoire ? La vivacité de l'histoire continue dans sa production. Je ne vois ni retour en arrière ni tarissement. Certes, c'est un peu banal de le dire, la nouveauté ne dure pas toujours. Pour autant, « l'histoire continue », comme disait Georges Duby.



Elle n'a plus la place qu'elle occupait ?

Il est vrai qu'elle n'est plus à la première page des journaux comme elle l'a été jadis. Mais notez bien que sa place dans l'intérêt des médias ne s'est pas modifiée parce que l'histoire déclinerait ou qu'elle cesserait d'intéresser les lecteurs. En revanche, ce qui m'apparaît comme une véritable régression de l'histoire, c'est que sa place est de plus en plus marginale dans la formation et la culture des hommes et des femmes politiques. Comment gouverner la France en tenant aussi peu compte de son passé ? J'en profite pour souligner l'excellent livre posthume d'Yves Renouard (1908-1965) sur les caractères généraux de la France (1). Je déplore aussi que la dimension historique soit si peu présente dans la construction de l'Europe. L'histoire est nécessaire pour donner une âme et une assise à la politique.

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